Le débat resurgit avec passion : trois essais nous décrivent l’existence infernale des animaux destinés à la consommation… Pourquoi, alors que nous savons, fermons-nous les yeux sur leur souffrance et continuons-nous à nous délecter de leur chair ?
Dans ses Confessions d’une mangeuse de viande, Marcela Iacub, juriste spécialiste des questions de bioéthique, avoue que, longtemps, elle a été carnivore. Jusqu’au jour où elle a entendu bêler les côtelettes… « Une bête crie dans notre assiette et, pour qu’elle y arrive, il a fallu lui ôter la vie. Par le fait même de mettre ce morceau de viande dans votre bouche, vous participez à ce meurtre. » L’Américain Jonathan Safran Foer, auteur de Faut-il manger les animaux ?, le livre événement qui a relancé le débat sur les horreurs de l’industrie agroalimentaire, est lui aussi devenu végétarien, tout en plaidant pour un élevage responsable, soucieux du bien-être des animaux et de l’environnement.
À lireConfessions d'une mangeuse de viande de Marcela Iacub
Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer (Éditions de l’Olivier, 2011).
Dictionnaire horrifié de la souffrance animale d’Alexandrine Civard-Racinais (Fayard, 2010).
Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer (Éditions de l’Olivier, 2011).
Dictionnaire horrifié de la souffrance animale d’Alexandrine Civard-Racinais (Fayard, 2010).
Sommes-nous mieux lotis ? Pas vraiment, à lire le Dictionnaire horrifié de la souffrance animale de la journaliste Alexandrine Civard-Racinais. Selon un rapport de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de 2009, 97 % des carcasses de gros bovins présentent des meurtrissures provoquées par des bâtons, preuves qu’ils ont été frappés avant d’être tués. Conclusion de l’auteure : « Dans l’élevage et l’abattage industriels, en dépit de quelques avancées, impossible d’assurer le bien-être des animaux. » Dans ce domaine, indiscutablement, nous sommes inhumains.
Nous sommes aveugles
Comment pouvons-nous continuer à manger de la viande sans en être horrifiés ? Parce que nous sommes carnivores ? En fait, en dépit de ce goût de la chair qui nous rapproche des fauves, être mangeur de viande n’est pas si simple, psychiquement parlant. Nous devons nous aveugler. Déjà, le mot « viande » nous sert à refouler – à oublier, à ne pas voir – que c’est un être vivant, un gentil petit lapin ou un cochon rose que nous dévorons. Ensuite, le mécanisme psychique du clivage nous permet d’opérer une coupure radicale entre le veau abstrait, chair rosâtre posée sur l’étal du boucher, et l’image du veau concret, mignon petit être sensible.Cliver, séparer le « veau viande » du petit veau de la ferme, être vivant, est d’autant plus facile que ces animaux que nous mangeons demeurent invisibles et anonymes. Nous ne voyons ni le couteau ni le sang, nous n’entendons pas les cris de terreur et de douleur. Selon Marcela Iacub, le but premier des abattoirs est d’ailleurs « de rendre opaques les supplices que l’on inflige aux animaux, d’empêcher de comprendre ce que signifie pour un animal ne pas vouloir mourir […] ».
Nous sommes coupables
Pour nous donner bonne conscience, nous nous racontons des histoires : « Si la viande est si tendre, c’est que la bête n’a pas souffert. » Pour être acceptable, la mort de l’animal doit nous apparaître comme « nécessaire » à notre survie, à notre santé : « Manger de la viande rend fort, si vous n’en mangez pas, vous allez tomber malades », nous dit-on. Alors que l’élevage et l’abattage industriels sont justement incapables d’assurer une certaine hygiène à la viande que nous consommons…Nous tentons de nous rassurer en nous disant que, après tout, la nature est cruelle. Seulement voilà, « les fauves ne font pas naître et n’élèvent pas les proies dont ils se nourrissent », rappelle Marcela Iacub. Selon elle, nous développons ces mécanismes de défense car, au fond de nous, nous savons que tuer et manger les animaux est mal. Nous savons que nous commettons un acte immoral.
Nous sommes responsables
En dépit de la culpabilité ou de la méfiance grandissante envers les nourritures carnées, il est souvent difficile de ne pas saliver quand le doux fumet de la côtelette parvient à nos narines. C’est que le goût de la viande n’est pas seulement lié à notre nature de carnivores. Il fait partie de nos histoires, des traditions culturelles dont nous sommes issus, il s’ancre dans nos souvenirs d’enfance – ah ! le poulet de grand-mère, l’oie rôtie des Noël d’autrefois… Y renoncer n’a rien de facile pour la plupart d’entre nous.En fait, pour y parvenir, nous devons entendre couiner le jambon, bêler les côtelettes, mugir le faux-filet. À ce moment, ce n’est plus de la viande dans l’assiette, mais un agneau, un être vivant, sensible. Alors, devons-nous tous devenir végétariens ? Disons que chacun devrait être conscient des souffrances, des mauvais traitements subis par les animaux destinés à la consommation. Et que chacun devrait pouvoir choisir en toute connaissance de cause. Car, comme l’écrit Jonathan Safran Foer : « Nos choix de tous les jours façonnent le monde. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire