SOURCE ET SUITE
ET AUSSI ""REGNE ANIMAL"" DU MEME AUTEUR
UN LIVRE BIEN CONSTUIT ME SEMBLE-T-IL
BIEN ENVIE DE L' ACHETER ET DE LE FAIRE CIRCULER..
PAS VOUS ????
Les lanceurs d’alerte et les activistes sont la mauvaise conscience de l’Occident. La liste est longue (Assange, Snowden, Deltour…) de ceux qui paient parfois par l’enfermement leur audace et leur courage. Le temps ferait-il l’affaire ? Mais que Brigitte Gothière et Sébastien Arsac, fondateurs de L214 (1), tentent d’obtenir des images dans les abattoirs, c’est l’hallali. Le lobby de la viande industrielle fait mine de s’étonner. A voix basse, les activistes sont traités de terroristes. Rien que ça. Pourtant, il faudra bien régler cette anomalie géographique qui voudrait qu’on prive d’espace les animaux et qu’on dérobe au regard du mangeur la qualité de ce qu’il mange. Tuer des animaux pour manger est une question si redoutable que leur mise à mort a été longtemps encadrée par des rituels sacrificiels complexes.
Auteur de terribles pages sur les élevages porcins, imaginés et vécus par les paysans (Règne animal, Gallimard), le romancier Jean-Baptiste Del Amo se mue en reporter de l’action associative menée par le couple Gothière-Arsac. «Nous avons réfléchi à ce que pourrait être un livre sur L214. Il fallait qu’il parle de l’association à travers le parcours de militants et qu’il propose un constat sur les réalités de l’élevage et de l’abattage.» Fondé sur les enquêtes marquantes de l’association, le texte confronte les faits révélés par les vidéos et les discours tenus par les responsables d’abattoirs lors de la commission parlementaire sur les conditions d’abattage. «Un gouffre entre le discours et la réalité d’une extermination massive des animaux, dont est responsable l’élevage.»
Conditions indignes
Extermination de masse ? L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) compte 69 milliards d’animaux terrestres abattus chaque année dans le monde pour la production de viande. Un chiffre à mettre en regard avec les 795 millions de personnes sous-alimentées… Rien qu’en France, chaque année, sont abattus 993 millions de volailles (poulets, canards et autres), 37 millions de lapins, 25 millions de cochons, près de 5 millions de bovins et plus d’un million de chèvres. Et nous n’avons pas de chiffres pour les poissons… La progression exponentielle de l’élevage depuis soixante-dix ans pousse à s’interroger sur notre rapport aux animaux de l’élevage industriel, vivant dans des conditions effrayantes et subissant des violences sadiques relevées par L214, inhérentes aux fonctions mêmes des abattoirs. «L214 ne veut pas stigmatiser les ouvriers mais dénonce un système qui détermine nos modes de consommation.»Depuis Descartes, qui voyait l’animal comme un automate répondant à des stimuli, l’éthologie cognitive a pu avec la biologie des années 40 (von Frisch, Lorenz) renverser ce corpus jusqu’à parler, pour les animaux, de «conscience», d’«altruisme», de «langage». Que penser lorsqu’on constate que les pies, les grands singes, les dauphins, les éléphants se reconnaissent dans un miroir, «test de la conscience de soi que les enfants ne réussissent pas avant 18 mois» ? Que penser lorsque, sans cerveau mais avec des ganglions nerveux, des poulpes et des insectes ont des comportements sociaux ? «Pourquoi les rats libèrent des congénères en difficulté au lieu de manger des friandises ? Pourquoi les chimpanzés apprennent-ils à leurs jeunes à casser des noix ?» Jean-Baptiste Del Amo renoue les liens entre nos questions sur l’intelligence des bêtes et nos droits de tuer. Comment constater la sensibilité extrême des bovins et accepter qu’un éleveur industriel - Daniel Viard à Digoin (Saône-et-Loire) - veuille enfermer 4 000 veaux pour en exporter la viande au Maghreb (2) ?
Pour les géographes, la cognition spatiale nécessaire pour se déplacer exige une perception complexe de l’environnement. Les cochons en sont pourvus, comme de multiples animaux. «En 1998, une truie de type vietnamien prénommée Lulu s’est étendue au milieu de la route pour alerter un automobiliste que sa propriétaire venait d’être terrassée par une crise cardiaque.» Plus étonnantes sont les conclusions des recherches sur les poules en milieu sauvage et la sempiternelle question des animaux marins (poissons, tortues…), sur laquelle les éthologues acousticiens sont sans appel : oui, il y a bien une sensibilité à l’espace et à la souffrance, surtout dans les conditions de la pêche industrielle. Que faire ?
Voir la réalité en face. Avant l’abattage industriel, dans les cours des fermes, le spectacle était public. Aujourd’hui, il faut casser le secret des abattoirs, ce qui est possible avec la technologie emportée des caméras cachées. Pour Del Amo, donner «une voix aux animaux», c’est les placer dans la chaîne alimentaire. Rappeler la variabilité génétique des animaux confinés, soumis à des croissances rapides dans des milieux pathogènes selon la FAO, soulignant que «les trois quarts des nouveaux pathogènes ayant affecté des humains ces dix dernières années viennent des animaux». Les traitements prophylactiques sont pires que le mal, y compris dans les élevages marins. Rappeler que la surconsommation de viande rouge est à risque pour l’Anses (3), pour l’école de santé publique de Harvard et de très nombreux organismes de recherche indépendants. Rappeler que la sous-alimentation et la mauvaise répartition des ressources sont liées à l’énorme gâchis de la conversion énergétique (7 kg de protéines végétales pour produire 1 kg de protéines animales). Rappeler, encore, la pollution de l’eau, la déforestation, le gâchis des aides en tout genre (la seule «promotion du lait et des viandes européennes coûte 30 millions d’euros» par an à l’Union européenne). Rappeler, enfin, la souffrance des centaines de millions d’animaux entravés, privés d’espace physique au moment où des fermes à plusieurs milliers d’animaux prolifèrent dans les départements de la Somme, la Creuse, la Marne, des animaux périssant dans les transports ou les filets de pêche, broyés ou gazés, abattus dans des conditions indignes. Jean-Baptiste Del Amo et L214 plaident pour accompagner une transition végétale et la baisse de la consommation de viande (même la Chine s’y est mise depuis 2016).
Injections mortelles
L’enquête de l’écrivain pour L214 conduit forcément à une réflexion sur le droit de tuer. Sortir les animaux de la catégorie des biens, des meubles et immeubles, comme le juriste Jean-Pierre Marguénaud le rappelle : la loi du 16 février 2015 fait des animaux des êtres vivants doués de sensibilité, une avancée «symbolique» qui doit se traduire par de nouvelles pratiques d’élevage. L’élevage industriel, l’abattage et le bien-être animal sont inconciliables. Tiges perforantes dans le crâne, lames dans la gorge ou l’œil, dislocation du cou, courant électrique, gazage, injections mortelles : aucune méthode d’étourdissement, dans des abattoirs où les cadences sont devenues infernales, n’est satisfaisante. Les responsables d’abattoirs nient souvent la cruauté devenue «ordinaire», comme c’était le cas à Alès ou au Vigan, où la litanie des horreurs transmises par les caméras s’ajoute à d’autres scandales, tel l’abattage de vaches gestantes à Limoges. Pour Florence Burgat (4), citée dans l’enquête, «l’alimentation carnée reflète un désir profond de l’humanité de se penser contre l’animalité. […] La manducation [l’action de manger, ndlr] implique un processus de décomposition, ravalant celui qui est ainsi traité à un rang qui ne peut être comparé à aucun autre».Agir pour la transition végétale a poussé L214 à imaginer VegOresto (faire connaître les alternatives végétaliennes), Vegan Pratique (aider ceux qui veulent entamer une transition alimentaire), Politique & Animaux (liens avec le monde politique). Jean-Baptiste Del Amo brosse le portrait de plusieurs militants, comment ils en viennent à s’engager. Beaucoup sont marqués par la Libération animale de Peter Singer et trouvent avec L214 de quoi agir, notamment avec les entreprises de distribution, souvent inquiètes pour leur avenir. Achevant son livre par une allusion à l’action de Martin Luther King, Del Amo rappelle que l’antispécisme, «c’est une égale considération des intérêts des êtres sensibles. […] Pas de droit de vote aux vaches, mais une reconnaissance de leurs droits fondamentaux». On se réjouit que Lévi-Strauss, qui écrivit ces mots au moment de la crise de la vache folle, soit enfin entendu : «Un jour viendra où l’idée que, pour se nourrir, les hommes du passé élevaient et massacraient des êtres vivants et exposaient complaisamment leur chair dans les vitrines, inspirera […] la même répulsion qu’aux voyageurs du XVe siècle, les repas cannibales des sauvages américains, océaniens ou africains.» Dans sa conférence de presse de rentrée, la présidente de la FNSEA a évoqué le bien-être animal («on s’en occupe») et la montée en puissance du véganisme, qualifiée de «prosélyte». Encore un effort, madame Lambert !
(1) L’association tire son nom de l’article L214-1 du code rural, dans lequel les animaux sont pour la première fois désignés comme «êtres sensibles» dans le droit français : «Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce.»
(2) Le Canard enchaîné, éditions du 20 septembre 2017.
(3) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (rapport de novembre 2016).
(4) L’Humanité carnivore, Seuil, 2017.
Jean-Baptiste Del Amo L214, une voix pour les animaux Arthaud, 410 pp., 19,90 €. A signaler : Brigitte Gothière, présidente de L214, débat au Festival de géographie de Saint-Dié, samedi 30 septembre.
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