Le capitalisme chosifie tout,
rentabilise l’élevage, rompt le statut multi-millénaire de l’animal
domestiqué. Depuis plus de dix mille ans, l’homme sélectionna des races
de vaches, porcs, moutons, volailles pour son seul profit, faisant de
ces animaux des dépendants, incapables de vivre à l’état sauvage,
totalement inféodés à l’éleveur, par les caractères résultant de la
sélection.
Bien
sûr, l’homme domestiqua dans le dessein d’exploiter la bête, soit sa
force de travail, soit sa viande, ses œufs, sa laine, son lait. Mais,
l’animal domestique vivait, jusqu’à l’ère industrielle, à proximité
immédiate de l’homme, partageant même parfois sa demeure. Chaque animal
était individualisé et l’éleveur connaissait son nom, son histoire. Avec
la massification, le productivisme, l’industrialisation de l’élevage,
ce lien entre éleveur et animal disparut.
Dans des bâtiments éloignés de l’habitation des hommes, des
centaines, puis des milliers de porcs, de veaux, de vaches, de poules ne
sont réduits qu’à une seule fonction : produire de la viande et des
œufs et ne connaître d’autre horizon qu’une cage étroite, un box
étriqué, sans aucune relation avec des congénères, sans autre vie qu’une
longue agonie qui s’achèvera dans un abattoir où des salariés, eux
aussi exploités, doivent tenir les cadences, effectuer des gestes
répétitifs, s’accoutumer à l’acte de tuer sans se soucier du stress et
de la souffrance des animaux réifiés.
Nos contemporains ne veulent surtout pas connaître le sort des
animaux dont ils consomment la chair martyrisée. Tout se passe hors de
la vue des consommateurs, dénomination par laquelle on désigne des
humains captifs du Marché, rendus irresponsables et automatisés. Le
capitalisme torture des milliards d’animaux sur la planète. Le destin se
venge toutefois car ce mode de production tue aussi l’éleveur. Le
paysan disparaît et des firmes vont se substituer à lui, dans cette
agriculture concentrée et concentrationnaire. Le syndicat agricole
milite stupidement pour cette disparition de l’agriculteur en défendant
les fermes de mille vaches, mille veaux, en attendant mieux.
Dans le même temps, l’homme contemporain perd le contact avec la
nature. L’animal dit sauvage l’effraie et les médias cultivent cette
zoophobie. Or, il n’y a rien à redouter du pigeon des villes, du
sanglier, du loup, du lynx, du renard, de la chouette et le grand tueur
d’hommes reste l’homme lui-même. Faisons un rêve : Élevant son degré
d’empathie, l’homme renonce à tuer les animaux. Il commence, dans une
première étape, par s’abstenir de faire de la souffrance et de la mort
des jeux, des loisirs, des spectacles. Chasse, corrida, cirques avec
animaux, combats de coqs et de chiens rejoignent dans la poubelle de
l’Histoire les combats de gladiateurs, les ordalies, les bûchers, la
peine de mort.
Puis, en un second temps, l’homme, converti au végétarisme, cesse de manger du cadavre et de "digérer une agonie",
pour reprendre la formule de Marguerite Yourcenar. Que se
passerait-t-il, sur une terre pacifiée ? D’aucuns imaginent que nos
braves vaches, porcs, moutons, chevaux, tous domestiqués depuis dix
mille ans, proliféreraient et submergeraient l’humanité, envahissant
tout l’espace. Ce scénario ne saurait survenir, car les espèces
sélectionnées par l’homme ne peuvent vivre que dans le cadre de
l’élevage, pour la plupart d’entre elles. Plus de viande sur le Marché,
plus d’élevage, corrélativement forte réduction des effectifs de ces
espèces. Conservées, uniquement par sympathie, par ceux qui les aiment,
les espèces dites de « rentes », deviendraient des animaux de compagnie et d’agrément.
Quant à la faune sauvage, celle qui a échappé
au grand massacre cynégétique, elle retrouverait un équilibre
proies/prédateurs, équilibre qui n’a pas attendu l’homme pour régir la
nature. Les pseudo-proliférations alléguées par la propagande des
chasseurs résultent de la chasse, de son artificialisation de la faune.
Les chasseurs, agents pathogènes, feignent d’être des remèdes aux
déséquilibres générés par leurs massacres et leurs lâchers d’animaux de
tirs. Cette terre des bêtes serait aussi celle des hommes, enfin
civilisés, car le respect de la vie ne se divise pas. Apprendre à ne pas
tuer devrait être la première leçon, le premier exemple, la norme
fondamentale d’une éducation. Une éthique animale implique un pacte
social nouveau, englobe une éthique politique généreuse, avec une
biomédecine orientée vers une lutte résolue contre la mort, avec une
économie au service de la redistribution et d’une croissance purement
qualitative.
Pourquoi ne plus tuer les
animaux ? Parce qu’ils sont des êtres sensibles ? Parce qu’ils partagent
avec nous l’espace terre ? Parce qu’il n’y a pas discontinuité du
vivant, mais unité primordiale, notre espèce n’étant, elle aussi, que
produit d’une évolution ? Parce que banaliser l’acte de mort prépare au
meurtre de notre propre espèce ? Oui, pour tout cela, mais d’abord pour
une autre raison. Tout être vivant est vulnérabilité et appartient à une
grande communauté de misères. Or, la vulnérabilité, ça se respecte.
Gérard Charollois
ecologie-radicale.org
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