SOURCE ET SUITE
Ophélie Véron est blogueuse et chercheuse en sciences sociales
Une nouvelle COP qui s’achève et, une fois encore, un sujet n’y a pas
été abordé : l’agriculture animale. Un sujet qui fâche, un sujet qui
divise, un sujet que, contrairement aux énergies fossiles, la plupart de
nos dirigeants aimeraient enfouir au fin fond de la terre pour ne
jamais y toucher. Pourquoi, une fois de plus, l’impact de l’élevage sur
le climat n’a-t-il pas été abordé lors de la conférence de Paris ?
L’élevage, acteur majeur du changement climatique
Pourtant, ce ne sont pas les arguments qui manquent. La FAO
(Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture)
estime que l’industrie de l’élevage est responsable de 7,1 milliards de
tonnes d’équivalent CO2, ce qui correspond à 14,5% du total
des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique et
fait donc de l’élevage l’un des principaux secteurs responsables de ces
émissions. Ce chiffre passe à 30,8% si l’on prend en compte la
respiration des troupeaux – rappelons à ce titre que ce ne sont pas
moins de 66 milliards
d’animaux terrestres que nous élevons chaque année pour leur viande, et
ceci n’inclut pas les poules et vaches élevées pour leurs œufs et leur
lait. Le Worldwatch Institute,
lui, n’hésite pas à évaluer la part de l’élevage à 51% des émissions de
GES anthropiques. En fait, peu importent les chiffres : l’idée
générale, c’est que c’est beaucoup et que c’est surtout bien plus qu’on
ne l’imagine au vu du silence qui prévaut à ce sujet.
L’élevage est-il au moins rentable ? Malheureusement non. Si 70% des
terres arables sont consacrées à l’élevage et que la viande et les
produits laitiers constituent la moitié des GES de l’alimentation, ils
fournissent moins de 20% des calories
consommées par les humains sur la planète. Car élever des animaux pour
les consommer, ce n’est pas rentable : pour le bœuf, c’est environ 95% des protéines
qui sont perdues. Si l’on mangeait directement les végétaux destinés à
la consommation des animaux, on pourrait nourrir environ 4 milliards de
personnes de plus dans le monde.
C’est sans compter également les autres enjeux écologiques et sociaux posés par l’élevage. Au premier plan, l’eau : 13 500 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 kg de bœuf, contre 1 200 seulement pour 1 kg de blé. Une étude récente
a montré qu’en remplaçant la consommation de viande par des équivalents
végétaux, on pourrait réduire l’empreinte en eau des Européens par 38%.
Les pesticides également : l’élevage est responsable 37%
de de la pollution globale par pesticides et de plus de 30% de l’azote
et du phosphore présents dans l’eau douce. Le coût humain : en plus
d’être responsable de 91% de la surface détruite de la forêt amazonienne,
le soja OGM destiné à la consommation du bétail concourt à la misère
des petits paysans sud-américains expulsés de leurs terres, entraînant
dans la foulée une flambée des prix alimentaires et la famine de
millions de personnes. Rappelons à ce titre que seul 4% du soja
consommé dans le monde l’est directement par les humains. Alors si l’on
vous dit que c’est votre tofu qui déforeste, pollue et tue, vous êtes
en droit de vous esclaffer. Enfin, l’impact sanitaire : trois quarts des nouveaux pathogènes ayant affecté les humains dans les dix dernières années proviennent des animaux et la moitié des antibiotiques consommés
dans le monde sont administrés aux animaux d’élevage. Ce qui fait dire
au directeur adjoint de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), Keiji Fuguda, qu’en 2050, « le
risque lié aux antibiorésistances pourrait conduire, au niveau mondial,
à la perte annuelle de 10 millions de vies humaines ».
Des voix qui s’élèvent, mais un silence qui prévaut
Pourquoi, malgré tout cela, la problématique de l’élevage n’a pas été
placée au cœur de la COP21 ? Car les activistes véganes ne sont pas les
seuls à soulever la question. Selon la FAO, « l’élevage
devrait être au cœur des politiques mises en place pour faire face aux
problèmes de dégradation des sols, de changement climatique, de
pollution de l’air, de manque de ressources en eau ou de leur pollution,
et d’érosion de la biodiversité ». Les scientifiques accumulent également les rapports. Selon une étude du Food Climate Research Network, « manger
moins de viande et de produits laitiers, et consommer à la place
davantage d’aliments d’origine végétale est le changement comportemental
le plus utile que l’on puisse faire en termes de réduction des
émissions de GES à un niveau mondial ». En 2008, une autre étude
a évalué que les émissions induites par un régime omnivore entièrement
local étaient 7 fois supérieures à celles induites par un régime
végétalien pourtant non local. L’ancien président du Giec (Groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Rajendra Pachauri,
a lui-même appelé à plusieurs reprises à manger moins de viande et
nombre de personnalités engagées pour le climat, à l’exemple d’Al Gore, sont devenues végétaliennes.
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