SOURCE ET SUITE
AVEC VIDEO
Dans un article publié le 3 février 2015 dans The Guardian, Peter Singer, auteur de La libération animale, fait le point 40 ans après la publication de son ouvrage majeur. Il réagit notamment à la diffusion d'une vidéo faite par Animal Aid, une
association militante, filmée en Angleterre dans un abattoir où il a
été constaté des actes de cruauté sur des animaux. Pour Peter Singer,
tant que nous continuerons à consommer de la viande, ces actes de
maltraitance demeureront inévitables. Voici la traduction de cet article
par Kévin Barralon. Merci à lui.
Lorsque j’ai publié La Libération animale, j’espérais
que 40 ans plus tard, il n’y aurait plus d’abattoirs — et qu’il n’y
aurait plus, également, d’histoires dans les journaux au sujet
d’atrocités comme celle d’un abattoir dans le nord de l’Angleterre. Les
arguments contre l’oppression que nous exerçons sur les animaux me
semblaient si évidents et irréfutables qu’il était certain qu’un
puissant mouvement allait émerger, reléguant ces abus dans l’histoire, à
l'instar du mouvement anti-esclavagiste qui a mis fin à la traite des
noirs.
Du moins, c’est ce que j’imaginais dans mes moments les plus
optimistes (ou naïfs). Dans mes moments les plus pessimistes (ou
réalistes), j’ai compris l’immensité de la tâche qui consiste à changer
des habitudes aussi profondément enracinées que manger de la viande et
transformer des points de vue aussi prépondérants que le spécisme. Plus
de 200 ans après l’abolition de l’esclavage, le racisme est toujours là.
Et même l’esclavage, alors qu’il est partout illégal, existe toujours.
Comment ai-je pu m’imaginer que mettre fin au spécisme et à l’esclavage
des animaux serait plus facile que mettre fin au racisme et à
l’esclavage d'êtres humains ?
Dans le contexte de ces hypothèses les plus réalistes, nous pouvons
déplorer le fait que les animaux soient toujours maltraités à grande
échelle. Mais il ne faut pas désespérer. Dans de nombreuses régions du
monde, y compris en Europe et aux Etats-Unis, il y a eu d’énormes
progrès vers un changement d’attitude envers les animaux. Un mouvement
puissant pour la défense des animaux a vu le jour, et ça a fait une
différence pour des milliards d’animaux.
En 1971, lorsque quelques étudiants et moi avions mis en place un
écran à Oxford pour montrer aux passants comment leurs œufs et leur veau
sont produits, les gens nous demandaient si nous imaginions réellement
que nous pourrions gagner face à la puissance politique et financière de
l’industrie agroalimentaire. Mais le mouvement pour les animaux a remis
en cause cette industrie avec succès, cette dernière ayant dû réaliser
des réformes dans toute l’Union européenne qui exige désormais que les
animaux d’élevage aient plus d’espace et de meilleures conditions de
vie. Et des changements similaires sont intervenus de la même manière en
Californie. Certes, ces changements sont encore loin de rendre la vie
des animaux d’élevage décente, mais ils constituent une amélioration
significative par rapport aux pratiques courantes avant les réformes.
Le nombre de personnes qui ont complètement arrêté de manger des
animaux ou ont réduit leur consommation de viande pour des raisons
éthiques est peut-être encore plus satisfaisant. Dans les années 1970,
pour être végétarien il fallait être excentrique — pensée reflétée dans
le nom de ce qui était alors le meilleur restaurant végétarien, Cranks (
= personnes excentriques). Si vous utilisiez le terme « vegan », vous
obteniez invariablement un regard vide et vous deviez expliquer ce que
cela signifiait.
Malgré tout cela, il est probablement vrai qu’il y ait plus d’animaux
encore qui souffrent de la main des hommes qu’auparavant. C’est parce
qu’il y a plus de gens riches dans le monde qu’auparavant, et le fait de
satisfaire leur demande en viande signifie un vaste développement
d’élevages industriels, plus particulièrement en Chine. Mais, le fait de
voir dans cela une preuve que les défenseurs des animaux n’ont pas fait
de progrès reviendrait à dire que, parce qu’il y a plus d’esclaves dans
le monde aujourd’hui qu’en 1800, le mouvement anti-esclavagiste n’a pas
fait de progrès. Avec une population mondiale qui a été multipliée par
sept depuis 1800, les nombres ne nous expliquent pas l’histoire
intégralement.
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