lundi 22 février 2016

LIRE :L ETHIQUE A TABLE, REFLECHIR A SON ALIMENTATION

SOURCE ET SUITE

 L’Éthique à table est un livre qui combine un formidable travail d’enquête à une réflexion éthique, avec pour objectif de permettre à chacun de faire de meilleurs choix alimentaires.
Peter Singer et Jim Mason partent de la face visible de l’alimentation, nos achats au supermarché, en allant à la rencontre de trois familles : une famille qui a le mode de consommation standard, une famille « d’omnivores consciencieux » (attentifs aux conditions de production de ce qu’ils achètent) et une famille végane. Partant de la liste de courses de chacune, ils remontent vers la face cachée : la chaîne de production et de distribution. Ce périple les conduit à rencontrer une foule de gens qui sont autant de voix ou de regards sur ce qui va bien ou mal dans notre consommation alimentaire : des éleveurs, agriculteurs, pêcheurs, restaurateurs, distributeurs, chercheurs, militants associatifs, journalistes, freeganes (personnes qui se nourrissent d’aliments récupérés dans les bennes à ordures)…
À travers ce parcours, ils rassemblent les données montrant l’impact des modes de production et de consommation alimentaires sur la condition animale, l’environnement, les travailleurs, ou encore les problèmes de la faim et de la pauvreté dans le monde. Ces éléments constituent le matériau factuel qui permet d’aborder les questions éthiques concrètes que soulève l’alimentation. Faut-il acheter les produits de l’élevage industriel ? Les OGM sont-ils une chance ou un danger ? Que penser du commerce équitable ? Est-il moral de consommer des produits d’origine animale ? Faut-il acheter des denrées produites localement ? L’agriculture biologique est-elle préférable à l’agriculture conventionnelle ?
Sur chaque sujet, les auteurs exposent leurs propres arguments et conclusions, tout évoquant les autres thèses en présence, le tout sans passer par un lourd exposé didactique.
Décortiquer les maillons de la chaîne de production des aliments les plus couramment consommés en Occident : c’est cet impressionnant travail de recherche que relatent Jim Mason et Peter Singer dans L’Éthique à table.
Nos deux auteurs vont échanger avec trois familles américaines qui ont chacune un régime alimentaire bien différent : l’une se nourrit de manière standard, la seconde s’efforce de faire des choix plus consciencieux dans la mesure du possible, et la troisième est vegan. De l’élevage industriel à l’agriculture biologique en passant par la pêche et l’aquaculture, le commerce équitable, le local et les OGM, toutes les facettes de la production alimentaire sont passées au crible. Les conclusions, parfois inattendues, nous permettent de mieux saisir l’influence souvent sous-estimée de nos choix alimentaires sur le monde qui nous entoure.
L’édition française du livre comporte, outre la traduction du texte original, des encadrés rédigés par Estiva Reus qui apportent une information complémentaire sur la situation française ou européenne.

L’élevage industriel, une plaie à éviter

S’il y a bien un sujet sur lequel ce livre est sans concession, c’est l’élevage industriel. Entre dommages à l’environnement, parfois irréversibles, travail répétitif et aliénant, et surtout souffrance des animaux omniprésente, il n’y a strictement rien qui puisse justifier de consommer des produits qui en soient issus. Poules pondeuses en cages de batterie, truies enfermées dans des stalles, poulets entassés par dizaines de milliers dans des hangars : chaque minute de vie est un enfer pour les animaux des fermes-usines. La pêche intensive et l’aquaculture ne sont pas épargnées, bien au contraire, puisqu’il s’agit des activités les plus meurtrières avec plus de 1000 milliards de poissons tués par an.
En creusant un peu, il s’avère que le faible coût des produits issus de l’élevage industriel est trompeur : en prenant en compte les dégâts écologiques épongés par la collectivité, les problèmes de santé des personnes habitant à proximité des élevages, les subventions de l’État ou encore les salaires misérables et les conditions de travail éprouvantes des employés, l’addition est bien plus salée. Si l’élevage industriel subsiste, c’est uniquement parce que d’autres que les consommateurs en paient les coûts cachés contre leur gré.

Vers un élevage respectueux ?

On pourrait donc avoir envie de se tourner vers un élevage qui respecte les besoins vitaux des animaux. Dès les premières investigations de nos auteurs, les différents labels certifiant le bien-être des animaux se révèlent peu convaincants. Certains n’imposent aucune véritable contrainte aux éleveurs et sont simplement des leurres destinés aux consommateurs. D’autres garantissent des pratiques moins cruelles à certains égards, mais qui restent problématiques à plus d’un titre. Si la mention « œufs plein air » garantit l’absence de cages, elle ne dit rien sur la coupe du bec ou encore l’abattage au bout d’un an de ponte. Quand bien même quelques exploitations seraient idylliques pour les animaux qui y vivent, les problèmes du transport et de l’abattage demeurent.
Sans compter qu’à de rares exceptions près, élever des animaux pour les manger constitue un gaspillage de terres qu’on aurait pu employer à produire des végétaux pour l’alimentation humaine. Que l’on compte en terme de calories ou de protéines, la culture directe de végétaux est presque toujours supérieure à l’élevage en terme de rendements.
Cependant, il faut garder à l’esprit que réduire sa consommation de produits animaux et éviter ceux issus de l’élevage industriel reste une démarche positive, qui fait une réelle différence pour les animaux. Même si l’idéal est une alimentation 100% végétale, « l’omnivore consciencieux » fait bien mieux que le consommateur qui adopte le régime alimentaire standard.

Acheter local, commerce équitable ?

L’achat de denrées produites localement est souvent considéré comme la meilleure solution écologique et éthique. Sans tomber dans une critique excessive – il s’agit souvent d’une bonne solution – nos deux auteurs questionnent ce qui semble une évidence. Et comme bien souvent, la réalité est plus complexe : acheter des produits importés peut se révéler plus éthique et/ou écologique dans certaines situations. Voici deux exemples parmi d’autres.
Dans certaines régions du globe, la culture de certains fruits et légumes est bien moins énergivore en raison du climat. Importer ces produits est plus écologique que les produire localement dans des serres chauffées.
Les agriculteurs de certains pays pauvres sont très dépendants de leur activité professionnelle pour avoir accès aux soins médicaux et autres services de première nécessité. Il est vital pour eux de trouver des débouchés à l’exportation pour subvenir à leurs besoins. Sous réserve que les producteurs touchent une part suffisante du prix final, il est préférable d’acheter des produits importés dans certains cas. C’est particulièrement vrai pour les aliments certifiés commerce équitable, qui en plus garantissent des conditions de travail soutenables pour les ouvriers.

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