mercredi 29 mai 2013

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Les huit textes qui composent ce livre sont tous consacrés aux animaux. La surprise et le joie qu’ils existent, les craintes envers une disparition qui semble hélas programmée pour beaucoup d’entre eux, ces motifs s’entremêlent à ceux du regard et du silence. Ce que dit et répète ce livre, c’est que les animaux, qui font rayonner l’existence hors des rets du langage, exercent pourtant envers nous la pression intimante d’un autre accès au sens. C’est ce sens éperdu, confondu au vivant, qui est poursuivi ici. Dans ce recueil, qui constitue un plaidoyer pour la cause animale, l’accent est mis sur le fait que les animaux n’ont pas de langage.

L’auteur a beaucoup écrit sur la ville, mais plus encore sur le paysage et la manière dont l’homme l’a façonné au cours du temps. En fait, c’est au territoire qu’il s’est toujours intéressé, et à ses différents modes d’occupation. Et bien sûr, il n’a pu échapper, au cours de ses réflexions, à la question animale. A l’heure où l’"hypothèse" de leur disparition n’est plus une vue de l’esprit, Bailly tente ici de renouer le fil avec ces premiers habitants de la Terre, dont la présence, même fugitive, constitue encore une "énigme" pour nous. il le fait à sa manière, entre rigueur philosophique et fulgurance poétique, mais en prenant le parti des "bêtes" (D’où le titre de son ouvrage, en référence à Françis Ponge – Le Parti pris des choses est un recueil de poèmes en prose écrit par Francis Ponge et paru en 1942.).
grande-amitie-tigres-chimpanze-L-12Car c’est un sentiment de joie que lui inspire avant tout l’existence des animaux. Ils ne parlent pas, ce sont des "sans logos", et pourtant ils nous disent quelque chose de l’usage du monde, précisément parce qu’ils évoluent "hors des rets du langage", dans un territoire que nous ne connaissons plus et dont ils détiennent certaines clés. L’homme a justifié sa supériorité sur eux par l’accès à la parole et, depuis lors, il n’a cessé de marquer sa différence, soit en les rayant de la carte, soit en les domestiquant ou en les parquant. Plus que la chasse, le zoo (et, dans le zoo, le singe) est l’expression la plus perverse de cette domestication de l"homme sur l’animal. Au lieu de rire de lui, "devrions-nous peut-être admirer ce qu’il fait et que nous ne savons pas faire", dit Bailly, qui, a Amsterdam, a pu observer une "handicapée mentale" en osmose avec des orangs-outangs, comme si elle avait "frayé" un passage dans ce monde oublié de nous.
Frayer, flairer, guetter… telle est la manière d’habiter le territoire pour l’animal, dont la "maison" est presque img_1165toujours une "cachette" : entre les bêtes et leurs prédateurs, c’est un incessant "jeu de cache-cache", une affaire de dissimulation, de "ruse". Et, pour l’homme, l’énigme est là, l’animal (sauvage) reste invisible, et les signes qu’il émet sont impénétrables. Il suffit d’écouter la forêt, la nuit, pour comprendre qu’il s’échange une infinité de messages entre espèces, et que ces messages (que l’auteur compare aux "répons" dans la musique) constituent, plus qu’une simple "bande-son", un vrai langage, grâce à quoi elles appartiennent bien à la "communauté du vivant". pour attester de cette "présence au monde", Bailly se réfère au compositeur John Cage et à son fameux "4’33"", pièce durant laquelle l’interprète s’abstient de toute note pour donner à entendre le silence – autrement dit le "bruit" que fait le silence. La marque du vivant, chez l’animal, n’est pas la parole, pas le chant des mots, mais le souffle muet, ce mouvement continu d’inspiration et d’expiration du corps, qui est comme le "son" même de la vie.
untitledAu fond, ce qui fascine Bailly, chez les animaux, c’est qu’ils sont de plus fins "connaisseurs du paysage" que lui. Mais, cette faiblesse par rapport à eux, il peut la compenser par la force de son imagination et ainsi se représenter, grâce au langage, et à défaut de pouvoir voler, "ce qui se passe quand on est à trente mètres du sol et que l’on saute de branche en branche". Regardons un bœuf dormir, nous dit Bailly, son sommeil est à lui seul une énigme, et sa respiration une manière de nous imposer sa "forme", dont l’origine renvoie à la nuit des temps. Aucun doute, il porte une mémoire qui est notre oubli même. Mais cet oubli, l’homme a les moyens de l’abolir par son "intelligence", et donc d’entrer en résonance avec l’animal perdu qui sommeille en nous. C’est à quoi s’astreint l’auteur, dans l’empathie, et en vrai chasseur d’images.

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