lundi 18 février 2013

VIANDE VIOLETTE TÉMOIGNAGE

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J’ai travaillé dans une usine de « transformation de viande », et je suis dégoûté définitivement de toutes les viandes hachées surgelées et des plats préparés.

C’était tellement « fou » pour des gens normaux que ma famille m’a conseillé de l’écrire quelque part, ce que je n’ai jamais eu le courage de faire. Rue89 me donne l’occasion de témoigner, donc voici quelques souvenirs.
Dans ces usines, on transforme effectivement des bas morceaux tout à fait corrects en merde. La recette était simple : on recevait des palettes de bas morceaux de marques de boucheries industrielles connues comme Bigard, qu’on décongelait dans des barattes (des sortes de monstrueuses bétonnières de deux mètres de diamètre dans lesquelles on envoie de l’eau bouillante sous pression pour décongeler tout ça en vitesse), et on y ajoutait au cours de trois malaxages successifs entre 30 et 40% du poids en graisse, plèvre, cartilages et autres collagènes.
On obtenait des quantités phénoménales de purée de viande qu’on mettait dans des bacs de 10 kg et qu’on tassait à coups de poings, puis qu’on renvoyait au surgélateur par palettes de 70 caisses. Oui, car on l’ignore souvent, mais on peut surgeler de la viande plusieurs fois de suite, au contraire de la congélation classique.

Azote liquide pour agglomérer la viande

Il y avait aussi la ligne des « cubes de viande ». Vous êtes vous déjà demandé comment ils font pour vous servir des cubes de viande si magnifiquement cubiques ?
Voilà la recette : en sortie de baratte, les ouvriers au nombre de deux ou trois piochent à la main d’énormes brassées de viande sanguinolente, qui sont transférées dans une sorte d’énorme presse avec de nombreuses « étagères ».
On fait descendre les mâchoires qui compressent cette viande, et pour mieux l’agglomérer, on fait circuler entre les plaques (mais, je suppose, pas en contact direct avec la viande, enfin je l’espère) de l’azote liquide.
Quand cette machine était en route ça puait tellement la chimie qu’on avait l’impression d’être près des raffineries de l’Etang de Berre... L’azote étant un des composés de l’air, je suppose qu’il s’évaporait au sortir de la presse s’il y avait eu contact avec la viande. Mais quand même...

Des petites quantités de viande dans la boucle depuis plusieurs mois


Viande crue (Conanil/Flickr/CC)
Après ce traitement, qui je suppose servait à « saisir » la viande pour l’agglomérer, les plaques allaient au congélateur. Le lendemain, ces plaques étaient sorties et on les passait dans un énorme emporte-pièce hydraulique qui découpait les plaques congelées en cubes de 3 cm de côté.
Ces cubes se déversaient alors sur un tapis roulant, et 2 ou 3 ouvriers dont je faisais partie éliminaient tous les ratés, les formes bizarres, les morceaux trop petits ou trop gros. Ça demandait une grosse concentration, et la cadence était très soutenue. Les cubes passaient dans un autre surgélateur à l’azote, avant de se déverser dans des sacs d’environ 20 kg.
Les « non conformes » étaient conservés, passaient dans la baratte suivante, puis sur les plaques suivantes, etc. Virtuellement, il est tout à fait possible que des petites quantités de viande faisaient la boucle baratte - plaque - surgélation - cubes - non conforme - baratte - plaque, etc. depuis des mois...
Vous pouvez vous en douter, les cadences étaient très dures à suivre, les heures supplémentaires fréquentes et le travail éreintant. Les conditions « humaines » me semblaient particulièrement inhumaines, justement.

Cette viande a été mélangée à de la viande saine

Les conditions d’hygiène n’étaient guère meilleures. Je passe sur l’odeur de viande écœurante. Le matin quand on arrivait, c’était propre ; mais très rapidement, vu nos activités, on pataugeait dans une boue grasse et sanglante qui recouvrait le sol.
Celle-ci était particulièrement glissante, donc très dangereuse. Pour ne pas avoir à la nettoyer, et donc ralentir la cadence, on aspergeait régulièrement le sol de sel, ce qui augmentait la quantité de boue au fil des heures. Malgré ce sel, je suis tombé plusieurs fois.
Lorsqu’on mettait la viande destinée aux cubes de viande sur les plaques, on avait très rapidement du sang sur tout le haut du corps et jusqu’aux épaules, malgré nos gants qui remontaient jusqu’aux coudes. Ambiance, ambiance...
Enfin, il y a eu cette fois, lors un arrivage manifestement avarié (la viande était violette, verte, jaune, et puait, bien que surgelée), où le patron nous a imposé de trier et d’en garder impérativement 40%. Qu’on se débrouille ! Cette viande a été mélangée à de la viande saine. Et hop ! Ni vu, ni connu, je t’embrouille.

Une main dans le hachoir

Nous manions des feuilles de boucher sans avoir été formés, nous étions en contact permanent avec des hachoirs, des machines rotatives... Stress, fatigue, objets dangereux ; avec ce cocktail, vous devinez sans doute où je veux en venir. J’ai assisté à plusieurs accidents du travail, plus ou moins graves.
Lors du dernier en date, et celui qui m’a décidé à partir, un de mes collègues (en CDI, moi j’étais intérimaire) a passé la main dans un des monstrueux hachoirs à viande hachée. Il poussait régulièrement la viande à la main quand elle se bloquait. Bien sûr, à chaque remarque, il objectait qu’il « faisait gaffe ».
Cette fois ci, c’était celle de trop. Doigts tout juste reliés à la main par des restes de peau, tendons arrachés et j’en passe. Une catastrophe et des promesses de handicap à vie...
Alors qu’il montait dans le fourgon des pompiers, le patron est venu le voir, et lui a dit « qu’il aurait dû lui dire s’il voulait des congés, c’était pas la peine de faire ça ». Quel connard ! J’en ai encore la gorge nouée à y repenser. C’était un des ouvriers les plus productifs de l’usine, et il avait la trentaine, donc encore bien trente ans de boulot devant lui...

Je ne mange que la viande du boucher

Inutile d’en rajouter je crois, j’ai déjà fait bien assez long. Inutile aussi de vous dire que je suis dégoûté à vie de la viande hachée industrielle. Le seul hachis que je mange, c’est celui que le boucher du coin de la rue sort de sa machine devant mes yeux. J’ai toujours évité les plats préparés et préféré la bonne cuisine et le partage. Cette expérience n’a fait que me conforter dans mes opinions.
Je n’ai jamais su qui étaient les clients de « notre » viande, et sous quelle marque elle était commercialisée. Les conditionnements sous lesquels elle sortait (10, 20 kg ou plus) me font penser qu’elle était destinée à l’industrie agro-alimentaire (plats préparés), et certainement pas aux commerces ou supermarchés.
Je ne suis pas resté suffisamment longtemps pour en savoir plus non plus. Dès que j’ai pu, j’ai sauté sur la première mission d’intérim qui me permettait de sortir de là, en me promettant de ne jamais y retourner.

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